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Ligue européenne de Coopération économique

Commission économique et sociale

Milan, le 17 juin 2016

« L’avenir des échanges, des investissements et des négociations commerciales internationales»

Original : français

Recommandation adoptée par la Commission économique et sociale le 17 juin 2016

Et par le Conseil Central de la LECE le …  2016

La Commission économique et sociale (CES) de la Ligue européenne de Coopération économique (LECE), réunie à Milan, le 17 juin 2016, a débattu du thème « L’avenir des échanges, des investissements et des négociations commerciales internationales », avec plusieurs personnalités : Monsieur Luca de CARLI, Deputy Head of Unit Trade Strategy, Commission européenne ; Monsieur Thomas COTTIER, Professeur émérite de l’Université de Berne et ancien Directeur du World Trade Institute ; Monsieur Charles-Henri WEYMULLER, Chef du bureau de la politique commerciale au Trésor, Ministère français de l’Économie et des Finances ; Monsieur Guillaume DUVAL, Rédacteur en chef de la revue “Alternatives économiques”. L’Ambassadeur Gianfranco VARVESI a également donné lecture d’un message de l’ancien Président du Conseil des Ministres de la République d’Italie Enrico LETTA.

  1. La Commission retire de ces débats les constatations suivantes :
  1. Depuis la crise économique de 2008-2009, le rythme de croissance des échanges internationaux, naguère élevé (près de 7 % par an en moyenne entre 1995 et 2008[1]), connaît un ralentissement marqué ; ils ont même pour la première fois baissé, en valeur absolue (-3%) comme en valeur relative, en 2009. Certains pensent qu’il faut y voir une inflexion durable liée à un essoufflement du “fractionnement des chaînes de valeurs” et à de nouvelles tendances protectionnistes, voire néo-nationalistes, qui se font jour dans nombre de pays; d’autres s’attendent en revanche à ce que le rythme traditionnel de croissance des échanges, deux fois plus rapide que celle du PIB mondial (elle-même ralentie), reprenne[2]. Cependant, l’échec relatif, après douze années d’efforts, du cycle de négociations commerciales internationales dit “Doha Round“, lancé en 2001, inquiète les spécialistes, dans la mesure où des négociations régionales ou même bilatérales, ou des accords sectoriels plurilatéraux, se substituent désormais aux négociations internationales pilotées par l’OMC ; les moyens de pression des pays forts sur les plus faibles y sont bien évidemment plus grands que dans un cadre multilatérale large.
  2. La négociation de grands accords trans-pacifique (TPP) et transatlantique (TTIP ou TAFTA) a été lancée pour rouvrir des perspectives de développement des échanges internationaux en y incorporant, au-delà des baisses de droits de douanes, les questions complexes mais essentielles des services, de l’accès au marché et des normes, y compris les normes sanitaires, sociales et environnementales. Cependant, les progrès attendus de ces négociations – lancées trop tardivement, selon certains – sont, selon les modèles économiques, plus faibles et plus incertains que par le passé[3]. Surtout, les opinions publiques s’inquiètent et se mobilisent, parfois à partir de préjugés et y compris dans les pays traditionnellement libre-échangistes, contre le projet TTIP/TAFTA, y voyant un risque de remise en cause de protections jugées essentielles pour leur mode de vie et leur environnement ; par exemple : la compatibilité des progrès envisagés avec les annonces faites lors de la Conférence “COP21” sur le changement climatique est fortement mise en doute, même si certains avancent que le TTIP pourrait aussi aider à résoudre certains problèmes environnementaux. La recherche d’un système satisfaisant de résolution des conflits entre investisseurs et Etats a fait l’objet d’un débat intense tant dans l’opinion publique européenne qu’au Parlement européen et a conduit la Commission européenne à proposer un nouveau système juridictionnel (Cour arbitrale). Enfin, l’opacité des modes de négociation est mise en cause; cette critique a conduit la Commission à diffuser récemment sur son site le mandat que lui ont confié les Etats membres et des informations à chaque étape de la négociation.
  3. Dans ce contexte, les distorsions de concurrences, réelles ou supposées, prennent une importance majeure. Les obstacles non-tarifaires aux échanges, sujet traditionnel, sont exacerbés par la multiplication des normes et des régulations. La manipulation des taux de change par des pays cherchant à regagner de la compétitivité ou simplement à se préserver de la déflation fait crier certains à la guerre des changes. Dans ce débat, la question de la reconnaissance de la Chine comme économie de marché à part entière, prévue au sein de l’OMC à la fin de cette année, fait problème. Les entreprises d’Etat jouent en effet un rôle crucial dans une économie encore largement gouvernée par la puissance publique ; de plus, le ralentissement de la croissance en Chine conduit à l’apparition de surplus exportables qui font accuser la Chine de pratique de dumping systématique dans des secteurs comme la sidérurgie et le ciment.
  4. Au-delà de ces aspects strictement économiques, les conséquences sociales de la mondialisation sont de plus en plus contestées, des deux côtés de l’Atlantique. En effet, la progression des échanges s’est accompagnée d’une progression préoccupante des inégalités et du chômage dans la plupart des pays développés, qui semble elle-même être une des causes du ralentissement de la croissance mondiale. Les niveaux de vie se sont fortement élevés pour une mince couche de la population, mais ont stagné pour la majorité dans les pays industrialisés; et les phénomènes de “working poor” et d’exclusion se sont renforcés. En outre, il semble aujourd’hui difficile, au moins dans certains pays, de résorber le chômage apparu du fait de la concurrence d’une main-d’œuvre à bas salaires et de normes sociales et environnementales défaillantes dans les pays émergents ou en développement. L’effort de formation dans nos pays ne semble pas suffisant – ou suffisamment adapté – pour y remédier et pour mieux intégrer les effets du progrès technologique.
  5. Dans la théorie économique, l’accroissement des investissements directs à l’étranger (IDE) en direction des pays du Sud devrait permettre d’appuyer le développement des échanges internationaux et le rattrapage des pays en développement. En réalité on constate jusqu’à une période toute récente que la part des pays avancés (Amérique du Nord, Europe, Japon) a été largement dominante, et que ces investissements ont été moins importants pour certains pays du Sud que les flux purement financiers ou que les envois de fonds des travailleurs immigrés. Dans la toute dernière période apparaît une tendance au renversement de ces flux, les investissements se faisant de plus en plus depuis certains pays du Sud gros investisseurs, comme la Chine, vers d’autres pays du Sud (Afrique) et plus encore vers les Etats-Unis ou l’Europe. Les prises de contrôle d’entreprises par des pays étrangers suscitent des inquiétudes peut-être excessives mais aussi auxquelles il faut répondre – sans oublier que les IDE peuvent être un substitut efficace aux échanges commerciaux en permettant de produire au plus près des marchés.

Notre Commission appelle la Commission européenne à défendre vigoureusement les intérêts de ses membres dans les négociations internationales. Souhaitant apporter sa contribution à l’élaboration de politiques permettant à l’Europe de jouer pleinement son rôle dans la nouvelle économie mondialisée, Elle formule les recommandations suivantes :

  1. On ne peut se résigner à l’abandon de facto de l’approche multilatérale au niveau mondial. Une initiative de relance de négociations commerciales dans le cadre multilatéral de l’OMC devrait être lancée par le G20, sur des bases modifiées (et éventuellement moins étendues, par exemple selon l’approche d’accords sectoriels plurilatéraux, par exemple dans le domaine de l’énergie et/ou de l’environnement) tenant compte des causes d’échecs du “Doha Round“. Cette initiative devrait, à notre sens, proposer un mode de négociation et de décision ne reposant plus exclusivement sur l’unanimité (le “consensus”) mais sur des règles de majorité qualifiée ou à tout le moins de « consensus minus »[4], assurant la représentation des pays en développement comme des pays développés.
  2. Concernant le TTIP, quatre points nous paraissent essentiels pour que l’accord recherché constitue un progrès – comme semble l’être le CETA, accord régional conclu en 2013 avec le Canada – et soit accepté par l’opinion.
  1. Une procédure de négociation plus transparente – malgré les efforts déjà fait en ce sens par la Commission européenne – permettant aux opinions publiques comme aux acteurs économiques de mieux comprendre les enjeux et d’être informés en temps réel de l’évolution ;
  2. Des concessions réciproques équilibrées, ce qui semble loin d’être le cas actuellement, notamment sur la question de l’ouverture des marchés publics aux Etats-Unis et sur celle des normes techniques ; il faudra aussi développer des disciplines qui permettent de faciliter la réalisation des buts de la politique climatique, dont la traçabilité et la valorisation des émissions de carbone ;
  3. Des procédures de résolution des conflits permettant à un tribunal arbitral public, statuant en droit international, de trancher les différends entre investisseurs et Etats ;
  4. La préservation des régulations européennes et nationales protectrices en matière sanitaire et environnementale – notamment la possibilité de contingenter les émissions CO2 d’origine fossile -. Un “alignement par le bas” de ces régulations ne serait en effet tout simplement pas admis par les citoyens de nos pays. En revanche, tous devraient rechercher une convergence des normes vers le haut en vue d’une multilatéralisation de ces principes d’intérêt commun.

Par ailleurs, il serait souhaitable qu’en cas d’accord, celui –ci soit ouvert aux pays tiers.

  1. Il n’est pas possible en l’état actuel des choses d’accorder purement et simplement à la Chine, dès fin 2016, un statut d’économie de marché qui ne correspond pas à la réalité ; en particulier, une forte restriction de la liberté d’information paraît incompatible avec le statut d’économie de marché. Une négociation approfondie doit être engagée avec les autorités de ce pays pour limiter strictement les pratiques de dumping dans les secteurs clés, comme la sidérurgie et le ciment, et pour s’assurer qu’elles relèvent progressivement leurs normes en matière sociale (notamment le travail des enfants et des prisonniers) et environnementale – même s’il faut reconnaitre que la Chine a fait de réels efforts sur ce dernier point depuis quelque temps. En tout état de cause, l’arsenal anti-dumping de l’Union européenne doit être renforcé en modernisant les instruments de défense commerciale, en utilisant des méthodes de calcul plus efficaces[5] en raccourcissant les procédures et en élargissant les modalités de dépôts de plainte.
  2. La lutte contre les distorsions de concurrence engendrées par les inégalités sociales doit être une préoccupation centrale, non seulement dans chaque pays mais au niveau mondial. Les conventions de l’OIT et ses recommandations sur le “travail décent” doivent être prises en compte dès l’origine, tant dans les négociations ouvertes à l’OMC que dans les projets d’accords régionaux. En outre, l’introduction progressive, non seulement en Chine mais dans l’ensemble des pays en développement – en tenant compte de la situation des PMA – de minima sociaux en matière de salaire, de protection sociale et de conditions de travail doit être obtenue.
  3. Les programmes européens d’éducation, de formation et d’encouragement à la mobilité devraient être renforcés pour encourager la reconversion des secteurs frappés par la mondialisation; il importe notamment de  majorer fortement l’ampleur des programmes de formation professionnelle et continue, au besoin sous forme décentralisée ou individuelle.
  4. Il est nécessaire de poursuivre et de mener à bien la lutte contre les paradis fiscaux et plus largement contre l’évasion fiscale, l’érosion de bases et le transfert des profits (programme BEPS de l’OCDE). Les progrès déjà accomplis avec la généralisation (mais à partir de 2018 seulement pour certains pays) de l’échange automatique d’informations fiscales laissent place à trop d’exceptions (“loopholes”). Notamment, il faut encore améliorer la transparence du régime des fondations (Trusts) et imposer aux pays qui jouent encore les “passagers clandestins” (“free riders”) de suivre la règle commune.
  5. En matière d’investissements directs étrangers, quatre priorités s’imposent :
  • Définir au niveau de l’Union Européenne. une liste de secteurs stratégiques faisant exception au principe de la liberté d’investissement, plus ambitieuse que celle de l’OCDE[6] ;
  • Développer le réseau d’accords bilatéraux de garanties des investissements, qui permet d’encourager ceux-ci en sécurisant les investisseurs ; ce réseau d’accords bilatéraux devrait être le plus possible conforme à une convention type établie sous l’égide des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale) ;
  • Proposer un accord international par lequel les pays s’engageraient en cas de conflits concernant un IDE à en soumettre le règlement à un tribunal d’arbitrage public constitué sur le modèle de celui qui figure dans le CETA (Comprehensive Economic Trade Agreement) entre l’UE et le Canada..
  • Renforcer substantiellement le système du MIGA (Multilateral Investment GuaranteeBağlantı Agency) en mettant en place un organisme international du type des banques de développement, spécialement chargé de couvrir une partie des risques des investisseurs lorsque ceux-ci s’implantent dans un pays en développement, afin d’encourager les transferts d’IDE du Nord vers le Sud.

[1] Source : Cepii, Lettre de septembre 2015 : au cours de la période 1995-2008, le taux de croissance annuel moyen en volume des échanges mondiaux de biens et services a été de 6,9%.

[2] Sur la période précitée 1995-2008, la croissance annuelle du PIB mondial était de 3,1%, soit une élasticité (rapport entre la croissance des échanges et celle du PIB) de 2,2. Au cours de la période 2012-2014, cette élasticité a été seulement de 1.

[3] Les pays concernés par le projet de TTIP font à eux seuls 30%, du commerce mondial. Cependant, la Commission européenne elle-même n’estime qu’à 0,5% le surplus cumulé de croissance attendu de la conclusion éventuelle d’un TTIP.

[4] C’est-à-dire l’unanimité moins un. Cette règle fonctionne déjà de façon satisfaisante pour le règlement des différends à l’OMC

[5] Voir la résolution du Parlement Européen de mai 2016 préconisant le recours à des « méthodes de calcul non-standard », les méthodes classiques de l’OMC ne permettant pas réellement de tenir compte des situations concrètes créées par les pratiques de dumping, notamment chinoises, en tenant compte des distorsions créées par l’interventionnisme de l’Etat.

[6] On pourrait s’inspirer à cet égard de la pratique des Etats-Unis, beaucoup plus ample que celle de l’OCDE